La rencontre

Idibus Januariis An II Campement Sil Gawen.

Le proconsul Suivil Gawenius terminait sa visite matinale de la garnison. Il avait pris l'habitude d'aller au contact des troupes, de manger avec les légionnaires, de connaître leurs habitudes et surtout de savoir où en était leur moral.



Il savait que combattre des années loin de leurs familles était une souffrance de chaque instant.
La puissance de l'Empire était à ce prix.

Chaque jour le camp s'étendait en hommes et en équipages, monté sur son cheval il regardait l'installation des nouveaux arrivant quand des trompes se firent entendre a l'entrée du campement.



Une cohorte revenait d'une expédition dans les villages environnants. Ils avaient pour mission de ramener des vivres et aussi des autochtones qui seraient employés, soit a la cuisine et a l'amusement des troupes pour les femmes, soit aux travaux durs, terrassement et construction de murs pour les hommes.

Nécessaires contributions pour obtenir la protection de Rome la toute puissante.

Suivil regardait les chariots remplis de vivre, les futurs esclaves attachés, les barriques de vin et de cervoise quand il remarqua une immense cage sur un chariot. Une créature gesticulait et essayait vainement d’écarter les barreaux tout en invectivant les gardes tout proches.



Qu’est ce que ceci veut dire ? Voila bien un étrange équipage pour une si charmante prisonnière.

Proconsul Suivil c’est une furie ! Il a fallu construire cette cage et l’enfermer ! Elle est complètement enragée et prétend être une déesse fille de Neptune même. Folle a lier je te dis !

Suivil s’adressa à la captive.

Qui est tu ? Sait tu que te faire passer pour une déesse est puni de mort dans l’Empire ?
Il s’approchait l’arme a la main attendant sa réponse.

Alors que Célébrindal observait avec sérénité les allées et venues des bateaux, chargés de vivres et d’hommes, dans le port de Calacirya, une horde de soldats armés jusqu’aux dents déferla sur les quais grouillant de monde.

Ils pillèrent, tuèrent et enmenèrent hommes femmes et enfants en les ligotant. Horrifiée par cette scène d’horreur, Célébrindal se précipita sans réfléchir. Elle n’avait ni armure ni glaive.

Son sort fût vite décidé :


- regarde cette superbe blonde ! Faut l’attraper, elle sera au goût de notre proconsul ! Il nous récompensera !

Mais c’était sans compter avec la fougue surnaturelle de cette déesse qui devenait totalement immaîtrisable. A force de se débattre, elle se retrouva en cage !

Ses vociférations sur ses origines célestes ne firent qu’aggraver son cas.

Lorsque l’homme qui se faisait nommer Proconsul Suivil se trouva face à elle, lui adressant la parole sur un ton condescendant, Célébrindal se tût, lançant un regard défiant et méprisant.

Puis elle rétorqua : qui que tu sois, quoi que tu veuilles, où que tu vives, tu ne m’intéresses pas ! Tes méthodes sont des plus douteuses. Ton droit de vie ou de mort sur tes semblables me donne envie de vomir. De mon identité tu ne sauras rien tant que je ne serai pas libre.

Elle lui cracha au visage avant de lui tourner le dos.

La punition pour un tel affront en public était la mort.
Le proconsul n'eut même pas besoin de donner l'ordre, la cage fut ouverte, la jeune personne extraite par trois légionnaires qui lui arrachèrent ses vêtements, elle fut ensuite liée au poteau bras en l'air le dos nu offert au chat à neuf queues.
Un centurion fit claquer plusieurs fois le fouet dans le vide.



Au moment où il allait s'abattre son bras fut retenu.

Qui ose ? Se retournant il vit Suivil ...

Proconsul, la punition est encore trop douce !

Laisse donc ! Ne va pas abîmer une si belle peau ! Puisqu'elle se dit Déesse des océans et amie de Neptune, conduis la donc au rocher des crabes.
Et laisse la marée s'occuper d'elle.
Si elle dit vrai demain elle sera encore vivante et nous aviserons.
Laisse la nue. Quelle traverse le campement et passe la nuit ainsi. Cette beauté ne doit pas être cachée aux yeux des Dieux !

Le centurion accompagné des trois légionnaires entraîna la belle inconnue et la nuit commençait à tomber quand ils l'abandonnèrent aux crabes et aux animaux marins sous une lune blafarde. Au loin un braséro apportait un peu de lumière.

Etonné du comportement de la captive, d'autres qu'elles avaient hurlé toute la nuit d'être dans cette situation, le Proconsul avait décidé de passer la nuit au bivouac des gardes côtiers.

Il lui arrivait très souvent de partager l'ordinaire de ses hommes, c'est ce qui avait contribué a sa réputation.
Les hommes de garde étaient en train de faire chauffer de l'eau dans un casque indigène, on voyait au loin le rocher des crabes.



Soudain les eaux se retirèrent, contrairement a toute attente, libérant les rochers affleurants.



Des milliers de crabes bleus, pinces en avant se dirigeaient vers le rocher.



Suivil n'avait pas pu s'empêcher de les suivre, caché dans les anfractuosités de la roche il observait la scène.

D'autres crabes, des rouges ceux là avaient réussi à dresser, sur le rocher, un bois flottant et s'agrippant de leur mieux, ils montaient pour tenter de couper les chaînes.



Ils essayaient désespérément de grignoter l'acier, revenant sans cesse a la charge, remplacés par d'autres lorsque les pinces usées craquaient et se séparaient du corps.

La captive ne serait pas libérée de sitôt.

Le proconsul n’était pas le seul à observer la scène.

Zeus, du haut de son trône s’inquiétait de l’évolution de la situation.

La belle Célébrindal était dans une posture plus inconfortable que prévue. Certes, il n’y avait rien à craindre d’une montée des eaux, aucune chance que cette déesse choisie des plus grands se noie dans son élément, cependant la libération de la captive devait se faire au plus vite car nul n’avait jusqu’alors oser ainsi défier le pouvoir divin.

Le Dieu des Dieux ne supportait pas la moindre résistance et réunit immédiatement une assemblée extraordinaire.

Il exposa la situation à tous ses subordonnés, leur demandant de trouver une issue rapide. Aussitôt l’un d’eux se leva :

- le proconsul n’est qu’un humain ! Il m’est facile de le faire changer de chemin.

Il prit son arc, sortit une flèche de son carquois, banda la corde et visa Suivil. La flèche fit mouche en plein cœur !
L’homme ne s’effondra point, mais quelque chose avait changé en lui, cela se discernait clairement dans son regard.

- et maintenant observons la suite, rajouta Cupidon.

Le proconsul avait ressenti une vive douleur au cœur. Il s'était affaissé mais les rochers l'avaient retenu. Il regardait la déesse marine avec des yeux exorbités.

L'image qu'il voyait ne correspondait plus du tout à ce qu'il était censé voir. Mais elle n'était certes pas déplaisante.

Il s'enfonça dans l'eau et en ressortit en emmenant la néréide.
Toujours nue mais évanouie il l'a déposa sur sa couche et l'observa très longtemps.

Soudain un légionnaire fit son entrée.

« Proconsul il est l'heure de l'entraînement ! Et tu nous as promis de nous apprendre tes secrets de combat. »

Suivil quitta a regret la belle pour rejoindre l'arène de terre battue.
Il empoigna son adversaire et commença à enseigner ses techniques.

Célébrindal se réveilla et ne comprit rien à la situation. Son dernier souvenir la situe dans une fâcheuse position, des milliers de crabes autour d’elle. Puis plus rien.
Que faisait-elle aussi confortablement installée ? Etait-ce une action divine qui l’avait amenée en ce lieu ?
Elle chercha de quoi couvrir sa nudité et n’eut d’autre solution que de s’enrouler dans un drap.

Puis elle évolua dans la pièce à la recherche d’indices. La chambre était quelque peu décorée de tapisseries illustrant des batailles,

de mobilier humble mais pratique (lit, table, tabouret, coffre).

Elle vit un panier de fruits frais et ne se priva pas, son estomac avait des crampes tant il était vide. Une cruche d’eau fraîche lui permit également de se désaltérer.

Elle poussa sa curiosité plus loin et entrouvrit une porte dissimulée derrière une tenture. La pièce semblait bien sombre, les pierres froides et rugueuses écorchaient la peau fine de ses pieds nus. Elle avança pas à pas dans la pénombre quand un grincement sinistre referma la porte sur elle. Ce fût l’obscurité totale, il n’y avait pas la moindre fenêtre. Célébrindal ne savait pas où elle se trouvait et encore moins où aller. Elle tenta de revenir sur ses pas, ne trouvant pas d’autre issue. Il n’y avait aucun mécanisme d’ouverture de la porte de ce côté-ci. Célébrindal s’était donc emprisonnée seule. Elle frappa contre les murs, appela en hurlant autant qu’elle le pouvait, mais cela n’eût pour simple résultat que de l’égosiller. Qui donc allait deviner qu’elle se trouvait ici ? Quel était le maître de cette demeure ?
Ses pouvoirs n’avaient d’effet que dans l’eau, ici elle n’était plus qu’une simple mortelle. Peut-être avait-elle refermé sur elle la porte de son tombeau…

Suivil, épuisé par sa démonstration, entrait dans la tente.
La prisonnière avait disparu.
La couche était vide, les vivres étaient entamés et la cruche à moitié vide.
Suivil remarqua la lourde tenture qui baillait à un bord, on pouvait apercevoir un coté de la porte en bois fermant le tumulus.
Il avait adossé sa tente à un tertre préhistorique.
Les couloirs et la pièce très fraîche servaient à entreposer le vin et aussi de morgue des officiers impériaux.
Les corps, enfermés et macérant dans des tonneaux de vin, étaient rapatriés à Rome, ou ils pouvaient participer le plus souvent aux triomphes.

Il lui semblait avoir entendu des cris étouffés mais il fallait se rendre à l'évidence à part les rangées de tonneaux la pièce semblait vide !
Il s'apprêtait à refermer la porte quand tout a coup ...

Un grincement sinistre se fit entendre. Célébrindal sortit de sa demi-torpeur et vit un filet de lumière inonder la noirceur de la pièce.

Elle se faufila discrètement derrière une rangée de tonneaux et observa la silhouette massive qui se dessinait dans la lueur. Cette ombre ne lui était pas étrangère sans pour autant lui être familière.

L’homme s’avança un peu et Célébrindal étouffa un cri à la vue du proconsul. Encore lui !

Quelle issue avait-elle maintenant ? Soit elle se laissait enfermer dans cette cave qui puait la vinasse et de laquelle elle ne pourrait s’échapper, soit elle se montrait à son geôlier et aviserait de la suite en fonction de la réaction de ce dernier.

Le choix semblait fait d’avance. Toutes ses réflexions prirent quelques minutes et déjà la porte allait se refermer.

Célébrindal bondit de sa cachette en criant :



- attendez !



L’homme n’était pas aussi surpris qu’elle ne l’aurait imaginé et posa même un regard attendri sur elle…

Elle profita de cet instant de « faiblesse » et se faufila entre Suivil et le battant de la porte. Elle courut pour tenter de s’échapper.

La pièce était vide, la sortie était libre. Célébrindal se retrouva sur une étendue de sable sur laquelle des restes fumants d’un feu de camp démontraient la présence récente d’hommes. Sa tenue n’était pas des plus pratique pour s’évader, le drap entravait quelque peu ses mouvements.

C’est alors qu’elle aperçut à la droite de la tente des vêtements étendus au soleil. Sans doute était-ce la dernière lessive d’un homme sali au combat.

La tenue n’était guère seyante et le tissu rêche. Mais Célé n’avait pas le temps, ni le choix de s’attarder sur des détails de coquetterie. Elle enfila la robe courte qui mettait finalement en valeur ses longues jambes et laissa l’armure au sol. Cela ne lui servirait à rien sinon qu’à l’encombrer. Par contre, elle trouva utile de porter le casque afin de passer inaperçue. Elle remonta ses longs cheveux en un chignon improvisé. Le tout se tint ainsi dans le casque.

C’est pieds nus qu’elle s’éloigna doucement du campement (courir n’aurait fait qu’attirer l’attention sur elle), aucune chausse ne paraissait à disposition.



Ainsi vêtue, on pouvait désormais voir une silhouette évoluer gracieusement le long de la plage. Elle se dirigeait vers les rochers. Seul l’indice de traces de pas, de pieds nus, pourraient probablement la trahir.